mercredi 2 novembre 2016

de cette lamentable histoire de temps de travail des enseignants

Suite aux derniers propos de M. Sarkozy concernant le temps de travail des enseignants, un groupe facebook réunissant un certain nombre des "800 000 feignasses" que comptent notre beau métier a été créé puis un blog ouvert pour collecter et exposer un certain nombre de témoignages qui s'y échangent.
J'ai passé du temps à lire, un peu à répondre sur la page facebook ces derniers jours. J'ai fini par apporter une modeste contribution, la voici :

"J'adore mon métier, vraiment. J'ai bien du mal à imaginer en faire un autre tant je le crois sincèrement utile, nécessaire, noble et beau.
Mais cette année, tout est dur. Là, à la veille de la rentrée, je retrouve cette petite boule noirâtre, piquante et étouffante au creux de l'estomac. Je ne l'aime pas, il faut faire avec. C'est comme ça depuis le mois de septembre. Cela a même commencé fin août.
Oui, vraiment, c'est dur.
Et c'est injuste.
J'enseigne au pays des bisounours depuis quelques années. Je suis dans un lycée général de sous-préfecture, face à ce qu'on fait de mieux comme public : des élèves gentils, vraiment bien, vraiment curieux, vraiment attachants, vraiment chouettes. J'ai une classe de seconde assez faible, mais vraiment sympa. Des gamins pour lesquels on a vraiment envie d'inventer des solutions pour les emmener le plus loin possible ! J'ai aussi une promotion de BTS, le genre BTS de lycée de sous-pref', les élèves qui n'ont pas pu ou pas voulu faire le pari de la mobilité géographique. Pas forcément le haut du panier de l'ouverture d'esprit. Mais vraiment sympas, vraiment gentils. C'est chouette d'être la prof de culture générale, celle qui leur donne quelques clefs sur le monde qui les entoure. Et je les découvre de plus en plus avides. C'est agréable. On se sent utile.
Et puis cette année, j'ai aussi deux classes de première S, une à 35, une à 37. Et c'est l'horreur. En classe entière, je ne me sors plus de mon épais malaise face à eux. Ils sont mignons, calmes, gentils. Et j'en vois certains couler, là, sous mes yeux et je ne peux STRICTEMENT rien faire pour eux, au risque de perdre tous les autres.
Alors nous avançons tous, comme de vaillants petits soldats.
Et je m'interroge sérieusement. Me faire ça à moi, c'est rien. Ce n'est que mon travail et c'est tant pis pour moi si je suis aussi sensible et aussi attachée à mes élèves (j'ai qu'à pas faire de sentiments, hein ?)
Mais eux ? Ils sont tous brillants, potentiellement. Sauf qu'avec des effectifs pareils, comment peuvent-ils bien vivre leurs études ? Dans une des classes, nous avons deux élèves qui font régulièrement des crises d'angoisse. Elles étouffent, au sens propre. Je les comprends.
La République n'aime définitivement pas ses enfants pour leur imposer des conditions d'études pareilles. Non, la République n'aime pas sa jeunesse, elle la voit comme un poids, comme une charge, comme une série de boulets auxquels il faudra bien faire une place. Mais laquelle ?
Un Sarkozy, comme n'importe quel solide pilier de bar n'ayant pas à réfléchir beaucoup plus loin que la pointe de son nez, au fond, ne nous voit que comme des gardiens de gosses, des matons de jeunesse.
Alors, le discrédit de notre profession ne serait-il pas simplement le symptôme d'un discrédit complet de notre belle et forte jeunesse ?
Le fond de ma pensée : je pense que si notre République voulait vraiment prendre soin de ce gigantesque gisement de beauté et d'intelligence qu'est sa jeunesse, elle ne l'entasserait pas dans des locaux vétustes et mal isolés, par série de 35+ face à des profs méprisés. Il y a beaucoup de violence à l'école, et pour commencer beaucoup de violence institutionnelle.
J'ignore jusqu'à quand j'accepterai encore de collaborer à ça, tant j'ai trop souvent le sentiment de faire du bon travail non au service de l'Institution, mais malgré elle. Et ça me gave, parce que s'il y a bien deux choses que j'aime dans ce monde et auxquels je crois, c'est mon métier, et la jeunesse de mon pays.
Belle rentrée à tous, malgré tout !"

lundi 29 février 2016

De la surveillance du bac blanc

Fond de l'amphithéâtre.
Quatre-vingt-dix élèves de première technologique vus du dessus.
Parmi eux, trente à moi.
Au bout de deux trimestres, on s'approprie facilement ses classes, pour le meilleur et pour le pire.
Trente minutes d'épreuve, sur un total de quatre heures à disposition.
Du fond de l'amphi, j'en vois qui sont déjà en train de rédiger, directement sur leur copie. Aucun des miens.
Certains baillent aux corneilles Aucun des miens. Si, pardon : un des rêveurs est à moi. Le petit A.


Sinon, les miens soulignent des trucs, dans les textes, dans les consignes. Ils surlignent des trucs, aussi. Plein de trucs.
Du haut de l'amphi, même si je ne les connaissais pas,  je pourrais les identifier à l'intensité du barbouillage des textes. J'y reconnais la méthode que je leur enseigne : la lecture active. 
Les miens ont sorti les brouillons, aussi.
Les miens dessinent des tableaux, des schémas, font des listes.
Les miens bossent, visiblement.
Les miens lisent. Acteurs de leur sujet.
Tiens, même A. s'y est mis.

On n'en a pas encore fini. Il reste encore un trimestre de cours soit, environ, une trentaine d'heures à partager ensemble, sans compter l'AP. Ni la sortie à Paris.
Mais là, déjà, dans cet amphi, ils sont des candidats au baccalauréat dignes de ce nom, des vrais, prêts pour réussir.
Même le petit A. qui plane un peu, lui qui a choisi la seule place prise dans un rayon de soleil à l'heure de la digestion.  Ils ont le droit de faire les mauvais choix. C'est aussi comme ça qu'on apprend.

Là-bas, tout en bas, je vois les grands cheveux de la belle E. qui tombent sur sa copie. Elle ne les relève même pas. Elle doit penser sur son brouillon, sur son sujet. Elle pense son sujet.
Et juste devant moi, la jolie M. a écrit une quantité de choses dans les marges du texte, avec une légende : à côté d'un grand carré, le mot "énumération", en dessous, un trait de surligneur vert, un autre jaune. Je ne lis pas ce que c'est mais ça correspond à une myriade de petits détails multicolores sur le papier dactylographié.
M. lit comme une professionnelle de la lecture, elle qui daignait à peine lire il y a six mois. Je vois là, de façon évidente, le bénéfice de mon cours.

Tiens, ce grand idiot de Am. plane.
Essayer d'attraper son regard, discrètement. Essayer de l'encourager d'un geste.
Voilà, il m'a vue. Voilà, il s'y remet.

Et T., de l'autre côté, tout au bout de sa rangée, auprès de la protection du mur, au cas où. Toute sa belle énergie est concentrée sur les textes. Je distingue ce tic de nervosité qui rythme sa pensée, l'expression de sa pensée, à chaque fois qu'il relève le défi de la littérature. T. ne s'appuie pas sur le mur. T. ne s'affale pas sur sa chaise. T. Ne méprise pas du haut de sa dignité outragée l'inutilité absurde de la littérature. T. est en train de donner le meilleur. Inouï.

Si seulement ils pouvaient soupçonner comment leur professeur se sent gagnante quand ils bossent comme ça, combien elle absorbe et se nourrit de toute cette belle énergie !
S'ils savaient combien cela me rend heureuse de les voir comme ça, au boulot comme ça, corps à corps avec des textes littéraires, comme ça.
Soudain, résultat tangible de tout ce travail, tous ces efforts. Combien je me sens utile à quelque chose dans ce monde quand je vois mes trente pioupious prendre soudain la littérature au sérieux, à ce point-là.

mardi 23 février 2016

De l'arbre à Palabres



C'était pourtant une journée dure, entamée depuis déjà belle lurette. Il n'était même pas encore midi. En plus, je venais de me faire griller la priorité au photocopieur et j'avais perdu plus de dix minutes à attendre mon tour. Du coup, j'avais dû monter mes sujets pour le labo de langue à l'arrache. Je déteste faire les choses à l'arrache. Et il me restait juste le temps de passer à mon casier avant le cours suivant vérifier s'il ne s'y trouverait pas quelque mauvaise nouvelle.
L'ambiance n'était pas franchement à l'enthousiasme.

Une grande enveloppe blanche, avec l'adresse manuscrite, à l'encre rose. J'ai tout de suite compris. J'ai tout de suite souri.

Je l'avais à peine décachetée quand j'ai vu arriver la jolie petite M., comme toujours cachée derrière son minuscule sourire, son grand rideau de cheveux bruns et son immense voile de timidité. Elle traversait ce long et large couloir sans le moindre recoin d'ombre où s'abriter. Je n'ai pas hésité.
"Venez donc voir ce que je viens de trouver dans mon casier ! Attention ! C'est en avant-première ! ".
Elle a vu la grande enveloppe blanche, elle a vu l'adresse manuscrite, à l'encre rose. Elle aussi, elle a tout de suite compris. Et elle a tout de suite souri.
" Oh ! en plus, il y a une photo ! "
M. avait ôté son gigantesque voile de timidité.
Envolé.
Pfuit.
Magique.

Après, j'avais cours, avec la classe de M.
Juste le temps pour faire 30 photocopies avant de rejoindre la salle 3 : je n'ai pas hésité.

En début d'heure, j'ai dû commencer par des informations générales, pas forcément agréables (je ne me souviens même plus lesquelles). Cela a donné le temps aux plus retardataires de mes trente pioupious d'arriver.

Alors j'ai sorti la grande enveloppe blanche, avec l'adresse manuscrite, à l'encre rose. Ils ont tout de suite compris. ils ont tout de suite souri.

ça a fait "Oh ! "
Alors j'ai distribué.
Ils étaient tous très émus.
C'était Noël sans Père Noël et sans sapin.
C'était Noël en février.
C'était beau !
Il y a eu un grand vent d'enthousiasme à la vue des signatures (leurs vraies de vraies écritures ! ) et de la photo.
Et puis il y a eu, encore renouvelée, cette étonnante qualité du silence et de l'écoute, quand j'ai lu la lettre.

Mention toute spéciale pour T.
T. c'est l'élève du fond de la classe, celui qui laisse toujours un rang, une table, une chaise entre lui et le reste du monde ; celui qui ne participe jamais : celui qui fait la tête. L'élève en colère. Grosse colère.
Aujourd'hui, T., je l'ai vu sourire.
Je n'ai rien dit, j'ai même fait semblant de ne pas relever.
Avant les vacances, T. avait écrit un très beau poème. Et lui qui rend toujours tout en retard, ou jamais, m'avait fait parvenir son poème assez tôt pour que je puisse le faire suivre.
T. souriait parce qu'il sait que son poème figure sur le site.
Aujourd'hui, M. a rangé sa timidité, T. souriait. Et tout le monde écoutait.

C'est rien, et c'est tout.

Ensuite, après le silence d'après la lettre qui est encore la lettre : "Mais, Madame, est-ce qu'on pourra encore leur répondre ?"

Il a fallu être raisonnable, rappeler l'urgence du bac qui arrive droit sur eux, rappeler qu'on ne pourra plus y consacrer trop de temps de cours.
Il a fallu aussi proposer une idée.
Je ne pouvais pas leur dire non.
Impossible.
Alors on va construire aux petits vieux de de Mme M.-D. une réponse à notre manière, qui nous fera aussi un beau cadeau à nous.
Mais silence. C'est une surprise !
Merci Mme M.-D., encore merci : ce projet, c'est un beau projet, et c'est un immense cadeau que tu nous fais ! Merci.
Pour en savoir plus sur ce si joli projet, c'est par ici : l'arbre à palabres

lundi 16 novembre 2015

Du cours d'après

Ce matin.
Ma fille de cinq ans se réveille en cherchant des solutions pour que la sortie prévue au printemps à Paris pour mes élèves de première ait quand même lieu. Elle a bien réfléchi au problème, manifestement. Je ne me souviens même pas en avoir parlé devant elle ! Elle me suggère les quais de Seine : il n'y a pas de méchants dans ce Paris-là, elle en est certaine.
A huit heures pile, je pense à mes collègues déjà au lycée, à mes collègues d'autres établissements. Je pense aux collègues. Je pense singulièrement à ma stagiaire qui va devoir assurer -et qui assurera, je le sais - Je l'écris sur Facebook. Nécessaire. Dérisoire. Mais nécessaire.
Toute la matinée sera comme ça : rien de ce qui a été vraiment préparé n'a lieu comme ça devait. Et pourtant, des choses formidables se passent.
A 9 heures 30, après avoir posé ma fille à l'école, j'arrive au lycée. Je fais le constat : on se dit "bonjour!" plus que d'habitude. On ne se demande pas "comment ça va ?" Rien n'est normal. Tout est évident.
A 9 heures 40, je vais voir mes premières qui ont cours avec ma copine Annabelle : je veux leur annoncer que la sortie sera annulée. Je veux les voir. Ils m'accueillent avec leur sourire et leur enthousiasme habituel, plus fort encore que d'ordinaire. On discute rapidement des raisons de l'annulation. Ils ont conscience que, mercredi, quand je marchais dans Paris pour préparer l'itinéraire de leur sortie, j'étais tout près des lieux. Ils me le disent. Et moi, je leur parle ce dont je ne m'attendais pas à parler aujourd'hui : que ce qui a été attaqué, ce sont des lieux du plaisir, de l'échange et de la culture. Et que nous allons continuer à étudier ensemble la littérature parce que c'est encore ce que nous avons de mieux à faire pour résister à cette tentative d'intimidation contre la culture et le plaisir. Cela fait du bien à tout le monde, de dire les choses, même un peu vite, et même avec la voix qui tremble un peu.
Après la récréation, je récupère mes secondes. Ils ont pu échanger en début de matinée grâce à ma collègue d'anglais. Alors je sens qu'il faut faire cours, qu'il y a urgence à faire cours, vraiment cours, vraiment faire un vrai cours.
J'ai dans mon sac le pingouin en peluche de ma fille, parce que mon homme a pris le bisounours pour ses élèves. Je leur ai raconté pourquoi je n'avais pas le bisounours (tout le monde connait mon homme dans le lycée, ça les a fait marrer) et j'ai sorti le pingouin. Je l'ai posé sur le bureau. On a ri, un bon coup. Et puis on s'est lancé dans la leçon sur la double énonciation au théâtre. Il y avait une qualité d'écoute et de participation toute particulière, comme si, soudain, la conscience du bonheur d'être là, ensemble, à partager ce cours, était devenue très tangible, pour tous. Alors comme toujours, je me suis moqué des "Bidochon"(un duo de garçons qui passent énormément de temps à se chamailler comme un vieux couple), et aussi du petit A. qui jamais, au grand jamais, ne sait où on en est (mais qui est tellement sympathique et gentil). Je suis venue au secours de V. et F. qui, comme toujours, croyaient qu'ils ne comprenaient rien alors qu'ils comprenaient l'essentiel.
On a fait cours comme jamais. On a fait cours comme si notre vie en dépendait. On a fait cours, un peu plus fort que d'habitude.
Et puis à 11 heures 45, on a rejoint ensemble l'atrium où était rassemblé l'ensemble du lycée : élèves, personnels. Tous là tous ensemble pour entendre le discours du proviseur. Il y a eu une belle Marseillaise, puis une belle minute de silence.
Ensuite j'ai croisé mon proviseur, qui a voulu me remercier pour cette phrase que je lui avais donnée l'an dernier pour sa collection de citations : "Ils ont cru nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines"et replacée aujourd'hui, nécessairement.
Il y a eu ce moment de complicité partagée avec notre proviseure adjointe et un de mes élèves de première quand il s'est agi de récupérer des morceaux de scotch pour coller, encore et encore, des affiches de solidarité, de paix, de fraternité, dans l'atrium.
Il y a eu ce moment d'échange avec un collègue de philo, accoudés à la balustrade, dans la contemplation de tous les messages écrits par nos élèves.
Le plaisir de retrouver sain et sauf un grand gaillard de terminale que j'ai eu en classe au collège, et l'an dernier en première, et qui était réfugié quelque part entre Bastille et République, chez des inconnus, vendredi soir. Il était un peu grogui, mais il était là. Il m'a dit "c'est la deuxième fois que ça m'arrive, j'ai eu très très peur." Il n'a pas eu besoin d'en dire plus. Je sais de quelles douleurs il arrive. Je sais aussi que j'en ignore tout, depuis notre première rencontre, lorsqu'il est arrivé en France, dans ma classe de quatrième.
Il y a eu cet entretien avec notre psychologue, un peu débordée aujourd'hui, au sujet d'un de mes élèves. On s'est tout de même aussi demandé comment nous allions, nous, l'une et l'autre. C'était nécessaire.
Il y a eu ces discussions, nombreuses, entre collègues, et notamment avec nos jeunes collègues, qui ne savaient pas trop comment faire.
Nous non plus, on ne sait pas trop. Moi, aujourd'hui, je ne savais tellement pas comment faire que j'ai sorti un pingouin en peluche sur mon bureau et c'est ce qui a permis que le cours ait lieu, presque miraculeusement.

Soudain, travailler sur les procédés comiques, étudier le thème de la guerre dans les genres de l'argumentation, faire lire "Roberto Zucco", faire tout ce qu'on fait avec des élèves, tout le temps, ça prend un sens considérable, quasi absolu. Même si ça parait bien dérisoire.

Je suis comme nous tous : je suis terrorisée. Et je sens, aussi, une forte, une violente, une irrépressible colère. Je sais bien qu'il y a quelque chose d'une confiance naïve dans l'avenir qui a été abattue, froidement.

J'ignore comment, et j'ignore même si faire cours de français est un moyen véritable de le faire, mais je veux me battre pour sauver l'essentiel : la culture et les petits plaisirs. Que chacun de mes élèves puisse un jour après un match, un spectacle ou une journée de boulot, sans crainte, sans arrière-pensée, juste parce que c'est ça la vie, c'est ça la joie, c'est ça la paix, aller boire pépère une petite bière en terrasse avec ses potes.

Et pourtant, moi, la bière, je n'aime vraiment pas ça.

C'est dire si c'est grave de s'en prendre justement à ça.

vendredi 23 octobre 2015

des notes


Pour ou contre les notes ? 

Il y  a quelques jours, j'ai vu passer sur mon fil d'actualité cette question, relayée par une association que j'aime bien, et pour cause ! Du coup, certaine que je n'allais pas tomber dans un panier de crabes repère de trolls en tous genres, je me suis fendue d'une petite réponse. La voici,  un peu remaniée. 

Pour ou contre les notes ? 
"Ni pour, ni contre, bien au contraire."

Il me semble que la question des notes  n'est jamais intéressante et pertinente pour elle-même. D'abord, les notes n'avancent pas toutes seules (sauf aux examens) mais accompagnées d'appréciations, de commentaires. Même au conseil de classe, qui statue sur la base comptable des notes et des moyennes, la présence des enseignants et l'affichage des appréciation fait que, finalement, ce n'est pas cette simple valeur comptable qui est utilisée, seule mais bien d'abord et avant tout le discours à partir de cette note. D'ailleurs, on n'imagine pas un bulletin qui serait remis aux familles sans une synthèse rédigée par le président du conseil. 
Par ailleurs, j'ai connu, il y  a quelques années, des élèves qui n'avait pas de "notes" au primaire, mais des évaluations sous forme de croix. Du coup, ils faisaient la "course aux croix". Et honnêtement, je ne voyais pas bien la différence question niveau de stupidité, avec la "courses aux notes", péché capital contre l'intelligence et la culture, duquel sont soupçonnés un certain nombres de nos élèves. 
Or, me semble-t-il, là est bien l'enjeu principal : celui du sens et de l'intelligence, pour les élèves, pour les parents, pour tous. Et, souvent, la note sert de point de départ à l'échange : les chiffres parlent tous seuls, c'est bien connu, tant qu'ils sont bons. On se rend bien compte que le discours devient exigible dès qu'ils hurlent du dessous du niveau de la mer, le fameux saint DIX : IL Y A UN PROBLEME. Là est la clef : les notes permettent de dire quand il y a un problème, mais elle ne le nomme pas, et donc, ne peuvent pas se balader toutes seules. 

Donc, la question qui m'intéresse, avec ou sans note, est la suivante : quel sens donne-t-on aux évaluations ? pourquoi évalue-t-on ? Quoi ? en fonction de quel contenu pré-requis ? enseigné ? Et comment fait-on pour que l'élève s'approprie les moyens de reconstituer le sens de ces évaluations ? 

"Que cessent Ces contrôles et que commencent Ses évaluations" me parait un bon slogan pour résumer ma position sur la question. 

Du coup, ça peut passer par des notes, des croix, des triangles, des couleurs, des lettres... tout est possible concernant le "comment on fait ?". C'est finalement le moindre des soucis, me semble-t-il, quand on cause évaluation. 
Je pratique, pour ma part, un système prodigieusement synchrétique, adapté à chaque situation et, surtout, toujours explicité aux élèves. 
Il y a des notes, mais toutes ne comptent pas.
Certaines activités sont évaluées sans être notées, ce qui ne réduit pas l'implication des élèves dans le soucis de comprendre ce qu'ils font et pourquoi ils le font, malgré tout ce qu'on pourrait imaginer en la matière. 
Les notes d'oral sont établies grâce à un document afiné au cours des ans,  savant mélange d'évaluation de contenu (colonne de gauche) et de savoir-faire (colonne de droite, avec des lettres). La note finale attribuée à chaque élocuteur est souvent négociée avec la classe. 
Globalement, tout le monde semble satisfait et pas traumatisé, ce qui est, pour moi, un critère essentiel pour jauger de la qualité d'un système d'évaluation, quel qu'il soit. 

Pour ou contre les notes ? Non ! 
Des notes ? pourquoi ? et pour quoi faire ? Voilà une question autrement plus intéressante. 

mercredi 22 juillet 2015

de ma boulangère et des vacances

Ma boulangère est une dame qui sourit à certains clients privilégiés et vend du très bon pain à tous.
La plupart du temps, j'essaie de ne pas avoir de conversations trop sérieuses avec elle parce que ça m'a pris des mois pour qu'elle accepte de me sourire, que le pain qu'elle vend est vraiment bon et que je n'aimerais pas me découvrir une raison du genre idéologique pour ne plus financer son activité.
J'ai déjà eu ce problème avec le poissonnier , le buraliste et la dame de la confiserie. Or, je tiens à favoriser l'activité locale plutôt que celle de la centrale d'achats du gros supermarché de la zone d'activités.
Du coup, j'ai appris à faire attention à certains sujets de conversation.
Et puis, début juillet, l'accident.
Ma boulangère me reçoit avec un grand sourire et s'exclame : "Ah, ah, ah ! En vacances, hein !"
Je n'ai pas pu me priver de lui dire que, ben non, pas en vacances, non : encore sur le bac, convoquée le 10 juillet.
Et ça l'a fait bien marrer, ma boulangère, que je sois encore à trimer : "Hu ! hu ! enfin, après, elles vont être longues, les vacances ! " Nous étions à la limite du clin d’œil.
"Je reprends plus tôt, cette année : le 28." [Mais pourquoi ai-je dis ça ? Pourquoi ?!]
"Le 28 ?! Le 28 août ! "
Voilà.
Trop de vacances.
Et bien celle-là, ça faisait bien longtemps que je n'y avais pas eu droit ! depuis les vacances de printemps, en fait. 
Je suis restée à peu près calme et digne. J'ai ramassé mon pain, ma monnaie et lui ai souhaité plus ou moins une bonne journée. Et je ne lui ai pas dit ce que j'aurais pu lui dire au sujet du fameux privilège des "vacances" parce que cela ne sert à rien.
Face au refrain habituel du "Les-profs-ça-fiche-rien-c'est-tout-le-temps-en-vacances", je m'efforce de ne jamais rien répondre, et même de ne pas essayer d'entendre.
Il suffit d'avoir un prof dans son entourage pour savoir tout ce que ce discours a de stupide.

Sur le fond, je pense que je travaille trop.
Beaucoup trop pour ce que je suis payée, notamment.

Il vaut donc mieux que je me taise face aux petits commerçants. 

Je préfèrerais presque leur parler du leur, de travail. Celui de ma boulangère, par exemple, est vraiment dur. Il faut passer des heures à sourire, refaire sans cesse les mêmes gestes : ranger, vendre, sourire, compter la monnaie, supporter tous les grincheux, tous. Et finir sa journée par le ménage de la boutique, et la comptabilité.
Le sien est répétitif.
Le sien ne s'interrompt que deux fois dans l'année.
Le sien est, en plus, dépendant de celui de son mari. Si pour quelque raison que ce soit, le pain devenait moins bon, elle en subirait directement les conséquences sans rien pouvoir y faire.
Je suis d'accord avec elle, complètement : je n'aurais pas pu faire boulangère et je préfère largement mon métier.

Mon métier  n'est pas moins dur que le sien. Il l'est différemment.
Il a exigé de moi beaucoup de sacrifices (longues études, concours difficiles et exigeants, obligation d'aller construire mon existence très loin de chez moi, début de carrière dans les pires postes et dans une région que j'ai vraiment détesté) et exige encore beaucoup d'efforts (obligation de s'adapter sans cesse à de nouvelles tâches et de nouveaux publics ;  obligation de se tenir au courant de l'actualité de la recherche dans mon domaine de compétences ;  travail tous les soirs, tous les weekends et pendant les vacances ;  perspectives d'évolutions réduites à peu de choses, notamment sur le plan salarial), mais ça valait la peine.

Et ça la vaut encore.

Sur ce, je retourne à mes lectures pour la rentrée.
Elle a raison, la boulangère : c'est chouette, les vacances.

mardi 27 janvier 2015

d'un mot dans un carnet


Madame,
hier j'étais en colère
J'en ai ruminé votre mot dans le carnet de votre fille toute la soirée.
Je me suis repassé votre jolie prose en boucle en rangeant le salon.
J'ai continué en rinçant mes poireaux.
J'ai poursuivi en faisant revenir ces maudits poireaux avec ces au moins aussi maudits oignons.
J'étais encore en train de ruminer quand j'ai enfourné ma tarte aux poireaux.
Et j'ai ruminé, encore, et encore, toute la soirée.

Je crois même qu'en dormant, je ruminais encore.

Je me doute bien du fait que vous n'avez pas idée du niveau d'incorrection de vos propos.
Mais dans le fond, je m'en moque un peu. Je ne suis pas votre professeur, je n'ai pas à vous enseigner ce que s'exprimer correctement signifie. Ce n'est pas mon rôle.
Hier, j'étais en colère parce que votre fille s'est autorisé de la façon dont vous vous êtes adressée à moi pour se montrer, à son tour, parfaitement incorrecte.
Et j'étais en colère parce que je trouve que ce n'est pas juste et que vous n'êtes pas juste.
Votre fille est exceptionnelle, sachez le.
Aujourd'hui, elle est arrivée à mon cours, elle avait résolu tous ses problèmes, elle avait même résolu plus de problèmes que ce qu'elle avait à résoudre pour aujourd'hui. Aujourd'hui, votre fille a su ne rien dire pour se faire remarquer, ne rien faire pour me renvoyer dans mes cordes, malgré l'envie qu'elle en avait probablement.
La conséquence de votre incorrection, c'est que votre fille s'est retrouvée dans l'obligation de faire, aujourd'hui, profil bas. Et cela demande du courage, beaucoup de courage. Votre fille est formidable. J'espère que vous n'avez pas besoin de moi pour le savoir.
Madame,
hier j'étais en colère.
Hier, j'avais envie de vous répondre, des choses vraiment agressives.
Hier, j'avais envie de vous insulter comme vous m'aviez insultée.

Mais plus aujourd'hui.

Aujourd'hui, la colère est retombée.
La colère m'aurait mal conseillée.
J'ai préféré la laisser retomber.

Et puis aujourd'hui, votre fille a été extraordinaire.
Elle a été vraiment formidable.
Elle sait qu'elle a un soucis avec la façon dont elle s'adresse aux gens.
Elle sait que l'équipe qui s'occupe d'elle, au quotidien, au lycée, fera tout son possible pour l'aider à dépasser cette difficulté. Et ne lâchera rien. Et ne la lâchera pas.
Elle sait que ce sera dur.
Mais je sais, moi, qu'elle en est capable.

Alors aujourd'hui, Madame, je voudrais vous écrire pour vous dire combien votre fille est formidable.

Mais je ne le ferai pas.
Pas aujourd'hui.
Je resterai professionnelle.
Administrative, même.
Aucune raison que je me montre particulièrement humaine.
Vous ne l'avez tellement pas mérité !