mardi 27 janvier 2015

d'un mot dans un carnet


Madame,
hier j'étais en colère
J'en ai ruminé votre mot dans le carnet de votre fille toute la soirée.
Je me suis repassé votre jolie prose en boucle en rangeant le salon.
J'ai continué en rinçant mes poireaux.
J'ai poursuivi en faisant revenir ces maudits poireaux avec ces au moins aussi maudits oignons.
J'étais encore en train de ruminer quand j'ai enfourné ma tarte aux poireaux.
Et j'ai ruminé, encore, et encore, toute la soirée.

Je crois même qu'en dormant, je ruminais encore.

Je me doute bien du fait que vous n'avez pas idée du niveau d'incorrection de vos propos.
Mais dans le fond, je m'en moque un peu. Je ne suis pas votre professeur, je n'ai pas à vous enseigner ce que s'exprimer correctement signifie. Ce n'est pas mon rôle.
Hier, j'étais en colère parce que votre fille s'est autorisé de la façon dont vous vous êtes adressée à moi pour se montrer, à son tour, parfaitement incorrecte.
Et j'étais en colère parce que je trouve que ce n'est pas juste et que vous n'êtes pas juste.
Votre fille est exceptionnelle, sachez le.
Aujourd'hui, elle est arrivée à mon cours, elle avait résolu tous ses problèmes, elle avait même résolu plus de problèmes que ce qu'elle avait à résoudre pour aujourd'hui. Aujourd'hui, votre fille a su ne rien dire pour se faire remarquer, ne rien faire pour me renvoyer dans mes cordes, malgré l'envie qu'elle en avait probablement.
La conséquence de votre incorrection, c'est que votre fille s'est retrouvée dans l'obligation de faire, aujourd'hui, profil bas. Et cela demande du courage, beaucoup de courage. Votre fille est formidable. J'espère que vous n'avez pas besoin de moi pour le savoir.
Madame,
hier j'étais en colère.
Hier, j'avais envie de vous répondre, des choses vraiment agressives.
Hier, j'avais envie de vous insulter comme vous m'aviez insultée.

Mais plus aujourd'hui.

Aujourd'hui, la colère est retombée.
La colère m'aurait mal conseillée.
J'ai préféré la laisser retomber.

Et puis aujourd'hui, votre fille a été extraordinaire.
Elle a été vraiment formidable.
Elle sait qu'elle a un soucis avec la façon dont elle s'adresse aux gens.
Elle sait que l'équipe qui s'occupe d'elle, au quotidien, au lycée, fera tout son possible pour l'aider à dépasser cette difficulté. Et ne lâchera rien. Et ne la lâchera pas.
Elle sait que ce sera dur.
Mais je sais, moi, qu'elle en est capable.

Alors aujourd'hui, Madame, je voudrais vous écrire pour vous dire combien votre fille est formidable.

Mais je ne le ferai pas.
Pas aujourd'hui.
Je resterai professionnelle.
Administrative, même.
Aucune raison que je me montre particulièrement humaine.
Vous ne l'avez tellement pas mérité !

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