samedi 24 mars 2012

de la morale et du plagiat à l'aire du web 2.0


Si contrairement à moi vous n'êtes ni prof ni ancien(ne) élève d'un cours de français en lycée, vous avez peut-être échappé au billet posté récemment par une de mes collègues où elle explique "comment [elle a] pourri le web".
A la première lecture, j'ai juste été vaguement irritée, sans bien pouvoir nommer pourquoi. J'ai replongé dans mon paquet de copies sans trop me poser de questions.
Et puis, je n'ai plus cessé de croiser les références de ce billet depuis deux jours : liens sur twitter, sur facebook, et même réception du lien dans ma boîte mail. A chaque fois, je m’agaçais un rien plus. Outre le contenu, le succès de cette prose tant auprès de collègues que d'amis non profs m'interroge car il révèle des choses qui m'indisposent.
Donc, Essayons de mettre tout cela à plat.

Tout d'abord, le premier niveau d'agacement concerne la traditionnelle déploration de la paresse intellectuelle des élèves en général. C'est un incontournable. Ma collègue narre dans son billet une expérience qu'elle a menée pour prouver que ses élèves utilisent les informations trouvées sur internet sans discernement. Elle semble surprise de découvrir que la plupart des élèves préfèrent recopier des informations trouvées toutes prêtes plutôt que d'essayer de faire l'effort de trouver des choses par eux-mêmes.
J'espère que ma collègue est jeune dans la carrière et qu'elle a encore beaucoup à apprendre sur ce qu'est un élève, si ce n'est normal, du moins banal.
Oui, les élèves plagient. Ils ne plagient pas qu'en français, ils plagient à chaque fois que cela peut leur faire gagner du temps et de l'énergie.
Personnellement, j'ai plagié au lycée, pour gagner du temps. J'étais plutôt une bonne élève, pourtant. Enfin, une bonne élève de l'enseignement technologique. Je plagiais peu et toujours avec un bon gros sentiment de culpabilité. Mais quand un dossier d'histoire de l'art urgeait et tombait en même temps qu'un devoir d'histoire, qu'un contrôle de maths et qu'une planche de MCR (Mode Conventionnel de Représentation, nom barbare pour quelque chose qui s'appelle autrement aujourd'hui et se pratique désormais avec des logiciels là où nous, nous faisions tout à la main, à la règle et au calque), il m'arrivait de plagier un peu une ou l'autre des encyclopédie de la bibliothèque municipale. Jamais aucun professeur ne me l'a reproché, essentiellement parce que mes professeurs n'avaient pas le temps d'aller vérifier sérieusement. J'avais des camarades de classe capables de recopier des pages entières de bouquins de la bibliothèque municipale. On ne nous le reprochait jamais, et pas seulement parce que nous étions ceux de la section technologique. Je pense qu'on ne nous le reprochait pas parce que cela aurait été bien trop compliqué à vérifier.
Aujourd'hui, je coince mes élèves comme je veux : il suffit de prendre une phrase dans un énoncé suspect, la taper sous forme de citation dans google (entre guillemets) et le tour est joué : je peux leur mettre leur source sous les yeux. Je le leur montre souvent en classe, pour qu'ils comprennent que ça n'a rien de magique et que c'est à la portée de n'importe quel prof, même de celui de français (toujours plus ou moins soupçonné par les élèves de ne pas trop savoir se servir de l'outil informatique).

Bref, ce billet qui circule en ce moment démontre une vérité simple que tout le monde savait déjà : les élèves plagient. Et si les élèves de cette génération plagient peut-être plus que ceux de ma génération, il est aussi beaucoup plus facile de s'en rendre compte.

La démonstration relève de la tautologie :  quelle quantité d'énergie et de travail consacrée à prouver quelque chose que tout le monde sait déjà (les élèves plagient). Mais autre chose m'irrite dans le procédé : je n'aime pas qu'on cherche à coincer les élèves, ne serait-ce que pour les mettre face à leurs responsabilités (ce que je fais en deux minutes, sans effort et avec au moins autant d'efficacité). Et surtout, je souhaiterais demander à ma collègue : bon, et ensuite ? La seule chose qui m’intéresserait vraiment, ce n'est pas comment elle a piégé le web 2.0, ou plus exactement comment elle a tenté de piéger 65 élèves (n'en piégeant, et encore à des degrés divers que 51), mais ce qu'elle compte faire, maintenant, pour remédier au problème soulevé. J'attends avec impatience le descriptif détaillé des sessions d'Accompagnement Personnalisé utilisées avec intelligence pour apprendre aux élèves à chercher des informations, croiser les sources et en dégager l'essentiel. Peut-être a-t-elle réussi à construire des activités fort pertinentes, éventuellement avec un collègue de documentation ? Voilà un travail intelligent, pertinent, nécessaire, et qui m'intéresse tellement plus, puisque là, je trouverais sans doute quelque chose de neuf et d'intelligent pour l'ensemble de mes élèves. Ce sera sans doute plus austère, comme billet. Sans doute ma collègue n'obtiendra-t-elle qu'une fréquentation limitée sur son blog. Mais là, ce travail ne me sert à rien, il ne m'apprend rien et ne m'aidera pas à avancer dans ma pratique.
Vivement, donc, qu'elle publie la suite de ce travail !

Enfin, parlons maintenant du succès de ce billet, auprès de collègues, ou pas.
Peut-être pourrions-nous commencer à identifier le genre auquel il appartient. C'est un genre largement pratiqué par les enseignants et qui est un marronnier de la librairie comme de la presse en période de rentrée scolaire : on pourrait nommer ce genre la déploration générationnelle.

Ce genre a énormément de succès, sinon les éditeurs cesserait de publier chaque année ces journaux d'enseignants et autres comptes-rendus de terrains de professeurs désolés par l'état déplorable de la jeunesse qui lui est confiée.
Je crois que le buzz auquel j'ai pu assister au sujet de ce billet tient au plaisir pris à la lecture de cette littérature de déploration générationnelle, plaisir auquel je ne comprends par principe pas grand chose. Les commentaires accompagnant ces publications sur les réseaux sociaux sont éclairants : les collègues jouent quelque chose de l'ordre du : "Et voilà la preuve de cette médiocrité que j'ai toujours dénoncée", les autres quelque chose qui joue invariablement sur le registre du "de mon temps, au moins, on ne plagiait pas. " Sauf que si, on plagiait aussi.
Et derrière cette littérature de déploration générationnelle, j'ai toujours plus ou moins le sentiment que se cache quelque chose de l'ordre de "les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas aussi bien que ce que nous étions."
Je pense, pour ma part, profondément, viscéralement, que c'est faux.
Je pense que la littérature de la déploration générationnelle offre un abri confortable pour éviter de poser les vrais problèmes. La littérature de la déploration générationnelle nous expliquera que la pédagogie est un sport impraticable parce que : les élève sont trop durs, trop bêtes, trop intoxiqués par la télé, les jeux vidéos, le web 2.0, le foot... rayez les mentions inutiles ("et à mon avis elles le sont toutes"). Je ne parle même pas ici des jeunes de banlieue !
Si c'est la faute à la jeunesse elle-même, alors il n'y a pas à se demander ce que nous pouvons faire, ce que notre génération peut faire pour la génération qui vient.
Je souhaite rappeler qu'il n'y a pas de raison pour imaginer que la jeunesse d'aujourd'hui soit plus paresseuse ou moins morale que ce que nous-mêmes étions sauf à s'imaginer que les adultes qui s'occupent d'eux le sont moins.
Commençons par croire en notre jeunesse : elle est l'avenir là où ne sommes au mieux que le présent. Faisons le pari de l'intelligence et de l'éducabilité de chaque génération d'élèves qui nous est confiée et construisons notre travail d'éducateur et de pédagogue à partir de là. A faire le pari de l'intelligence, on gagne souvent  ; et on gagne plus gros qu'à faire celui de la sottise de la jeunesse.

Je défends personnellement cette tautologie : on peut toujours rêver former des esprits d'abord sans le web 2.0, mais alors il s'agit de la jeunesse d'hier, celle que nous étions et non pas celle qu'elle est aujourd'hui.

remarque : il semblerait que ma collègue soit en fait un collègue : j'ai appliqué le principe de bon sens qui veut que la prof de français est toujours une femme, sauf exception. C'était l'exception. Avec toutes mes excuses à mon collègue. (le 25 mars 2012)