mercredi 2 novembre 2016

de cette lamentable histoire de temps de travail des enseignants

Suite aux derniers propos de M. Sarkozy concernant le temps de travail des enseignants, un groupe facebook réunissant un certain nombre des "800 000 feignasses" que comptent notre beau métier a été créé puis un blog ouvert pour collecter et exposer un certain nombre de témoignages qui s'y échangent.
J'ai passé du temps à lire, un peu à répondre sur la page facebook ces derniers jours. J'ai fini par apporter une modeste contribution, la voici :

"J'adore mon métier, vraiment. J'ai bien du mal à imaginer en faire un autre tant je le crois sincèrement utile, nécessaire, noble et beau.
Mais cette année, tout est dur. Là, à la veille de la rentrée, je retrouve cette petite boule noirâtre, piquante et étouffante au creux de l'estomac. Je ne l'aime pas, il faut faire avec. C'est comme ça depuis le mois de septembre. Cela a même commencé fin août.
Oui, vraiment, c'est dur.
Et c'est injuste.
J'enseigne au pays des bisounours depuis quelques années. Je suis dans un lycée général de sous-préfecture, face à ce qu'on fait de mieux comme public : des élèves gentils, vraiment bien, vraiment curieux, vraiment attachants, vraiment chouettes. J'ai une classe de seconde assez faible, mais vraiment sympa. Des gamins pour lesquels on a vraiment envie d'inventer des solutions pour les emmener le plus loin possible ! J'ai aussi une promotion de BTS, le genre BTS de lycée de sous-pref', les élèves qui n'ont pas pu ou pas voulu faire le pari de la mobilité géographique. Pas forcément le haut du panier de l'ouverture d'esprit. Mais vraiment sympas, vraiment gentils. C'est chouette d'être la prof de culture générale, celle qui leur donne quelques clefs sur le monde qui les entoure. Et je les découvre de plus en plus avides. C'est agréable. On se sent utile.
Et puis cette année, j'ai aussi deux classes de première S, une à 35, une à 37. Et c'est l'horreur. En classe entière, je ne me sors plus de mon épais malaise face à eux. Ils sont mignons, calmes, gentils. Et j'en vois certains couler, là, sous mes yeux et je ne peux STRICTEMENT rien faire pour eux, au risque de perdre tous les autres.
Alors nous avançons tous, comme de vaillants petits soldats.
Et je m'interroge sérieusement. Me faire ça à moi, c'est rien. Ce n'est que mon travail et c'est tant pis pour moi si je suis aussi sensible et aussi attachée à mes élèves (j'ai qu'à pas faire de sentiments, hein ?)
Mais eux ? Ils sont tous brillants, potentiellement. Sauf qu'avec des effectifs pareils, comment peuvent-ils bien vivre leurs études ? Dans une des classes, nous avons deux élèves qui font régulièrement des crises d'angoisse. Elles étouffent, au sens propre. Je les comprends.
La République n'aime définitivement pas ses enfants pour leur imposer des conditions d'études pareilles. Non, la République n'aime pas sa jeunesse, elle la voit comme un poids, comme une charge, comme une série de boulets auxquels il faudra bien faire une place. Mais laquelle ?
Un Sarkozy, comme n'importe quel solide pilier de bar n'ayant pas à réfléchir beaucoup plus loin que la pointe de son nez, au fond, ne nous voit que comme des gardiens de gosses, des matons de jeunesse.
Alors, le discrédit de notre profession ne serait-il pas simplement le symptôme d'un discrédit complet de notre belle et forte jeunesse ?
Le fond de ma pensée : je pense que si notre République voulait vraiment prendre soin de ce gigantesque gisement de beauté et d'intelligence qu'est sa jeunesse, elle ne l'entasserait pas dans des locaux vétustes et mal isolés, par série de 35+ face à des profs méprisés. Il y a beaucoup de violence à l'école, et pour commencer beaucoup de violence institutionnelle.
J'ignore jusqu'à quand j'accepterai encore de collaborer à ça, tant j'ai trop souvent le sentiment de faire du bon travail non au service de l'Institution, mais malgré elle. Et ça me gave, parce que s'il y a bien deux choses que j'aime dans ce monde et auxquels je crois, c'est mon métier, et la jeunesse de mon pays.
Belle rentrée à tous, malgré tout !"

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