vendredi 17 juin 2011

Du balbuzard et de la routine

Je ne souhaite pas ici répondre point par point à l'interview de Madame le Recteur de l'Académie d'Orléans-Tours qui est, en partie, consultable  ici. Et pour ceux qui ignoreraient ce qu'est un balbuzard, en voilà un.

Je voudrais simplement souligner dans ce texte une modalité de déconsidération d'un corps de métier qui me semble à la fois efficace mais aussi terriblement dangereuse : présenter comme totalement inadapté le comportement le plus naturel des professionnels concernés par le discours.
Parlons donc de ce grave défaut des enseignants dénoncé par cette dame : la routine.
Associons d'abord les deux idées professeur / routine pour envisager quelle image émerge. On voit aussitôt se dessiner la figure de ce fameux prof-qu'on-a-tous-connu, celui qui ressert invariablement le même cours aux générations d'élèves qui se succèdent, peu importe les programmes, peu importe les publics, peu importe les réformes. Toujours sempiternellement la même chose. Elle le dit : au moins, il sait bien le faire. Et on rit aussi avec elle : quel passéisme ! Comme cette dame a bien raison de vouloir amener -enfin!- les professeurs vers la digne et belle route de l'innovation ! Là, une nouvelle image s'impose à nous, celle d'un professeur, forcément jeune, nécessairement dynamique, plein d'envie, de créativité. Ce type avec un bel ordinateur de la pub du ministère, par exemple. Il n'enseigne pas, lui, il innove.
Le couple de mots est ici très important : d'un côté le mauvais, le poussiéreux, l'immobile, l’inefficace, le démotivant : la routine ; de l'autre le bien, le beau, le vivant, le mouvement, le créatif : l'innovation et sa belle jeunesse, et sa belle motivation.

Sauf qu'il y a un endroit où ça coince.

La routine me parait être le fondement de tout geste éducatif et pédagogique.

Mais il y a un autre mot pour le dire, plus beau, plus digne, auquel cette dame ne pense certes pas quand elle évoque ici les profs : le rituel.

Longtemps, j'ai ignoré l'importance du rituel. Et puis, curieuse de connaitre des enseignants innovants dont j'avais aussi à apprendre, mes collègues de l'école primaire, je me suis rendue dans des classes et j'ai découvert ce beau mot : le rituel.

Je crois aujourd'hui, profondément, qu'il ne peut pas y avoir de possibilité d'un apprentissage de qualité sans ritualisation.


Le rituel est ce qui permet de faire groupe, ce qui  permet de sécuriser chaque individu du groupe et de faire fonctionner l'ensemble. Un seul exemple : je n'ose imaginer un débat en classe (apprentissage de l'oral, des techniques de l'argumentation) sans une solide ritualisation qui permet à chacun d 'avoir intégré les règles communes et donc de se débarrasser de l'enjeu des règles pour ne plus se concentrer que sur ce qui compte vraiment : le contenu.

La mise en place de rituels, à l'intérieur d'un groupe classe, prend un temps et une énergie considérables en début d'année. Mais c'est un préalable indispensable.

Le rituel permet de se décharger de ce qui n'est pas le plus important en le structurant en habitudes.
Le rituel sécurise les élèves car ces règles intégrées et respectées par tous, ce cadre, autorise ensuite en son sein toutes les audaces.
Le rituel fait gagner du temps et permet d'en consacrer davantage à la découverte des contenus, à leur assimilation et, ensuite, à l'invention.
Le rituel est un fondement important pour tout geste professionnel de l'enseignant. Sans la routine, pas d'innovation pédagogique possible ; uniquement l'anarchie.

Le rituel, ce n'est rien d'autre, en fait, que la routine pensée,organisée, préméditée, institutionnalisée dans la classe. Je pratique activement la ritualisation dans mes classes. Je suis donc bien de ces professeurs poussiéreux, passéistes et incompétents dénoncés par cette dame. Pire, je le revendique.

3 commentaires:

  1. Thomas Corneille18 juin 2011 à 00:45

    Je te préviens, je vais beaucoup dire que tu as raison, je le sens.

    Alors juste un exemple.
    On étudie (avec une classe quelconque) un texte de théâtre.
    Consigne n°1 : lire le texte en silence, toujours. Poser toutes les questions nécessaires sur le vocabulaire, toujours.
    Quand la page est tournée, qu'on arrive à la fin de la scène, que les questions se font plus rares, que les conversations vont repartir, sur le volet droit du tableau, écrire la liste des personnages en laissant, à côté, de l'espace pour écrire les noms des lecteurs, toujours.
    Se retourner, voir la forêt des mains levées pour lire à voix haute. Toujours.

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  2. Voilà une critique innovante d'un discours devenu bien routinier.

    Quand la modernité ignore tout de la tradition qu'elle prétend combattre, c'est qu'elle est devenue folle, elle ne combat que son fantasme, elle est son propre axiome... Comment, Recteur, en plus ? Aux abris !!!

    Merci, Irima-Belles-Choses !

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  3. Un balbuzard est un petit rapace, médiocre, sans ambition, bien éloigné de l'aigle conquérant (du mois de juin). Il nidifie dans la forêt d'Orléans, on sait donc où organiser la prochaine réunion des indignés de l'académie.

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