dimanche 20 novembre 2011

Des moments où le prof n'a plus rien à faire

Dans notre métier, il y a des moments absolument exceptionnels, des moments d'une grâce inouïe.
J'ai vécu un de ces moments-là cette semaine et c'était tellement magique que, trois jours après, j'y pense encore.
J'étais à mon bureau, plus ou moins en train de ne rien faire et je regardais les cinquièmes en train de travailler à la mise au propre leur rédaction. Ils avaient une demi-heure pour le faire et ils y mettaient tout leur coeur, à tel point que, lorsqu'ils m'ont demandé s'ils pouvaient utiliser toute la séance de cours, j'ai accepté.
Je voyais même le gentil petit Rémy* faire des efforts démesurés pour tenir compte de la dernière consigne au tableau :  "Ayez pitié de votre correctrice : soignez l'écriture ! ". Le pauvre Rémy est un gaucher contrarié avec l'écriture que peut produire une telle torture pédagogique. Mais Rémy ferait n'importe quoi pour faire plaisir à son professeur de français. Je le sais. Et cela me touche, toujours.
A un moment, j'ai vu la petite Déborah* complètement désespérée face au dictionnaire. Alors je lui ai cherché son mot pendant qu'elle avançait sa mise au propre. Il ne faudrait tout de même pas que je sois payée exclusivement à ne rien faire !
Et à la fin de l'heure, certains voulaient absolument finir, n'arrivaient pas à lâcher l'affaire, relisaient encore une fois, pour vérifier encore que tout était bien. Et j'ai ramassé des copies de trois voire même quatre pages, ce qui est énorme à ce niveau d'enseignement.

Ces moments-là sont rares. On est au fond de la salle, appuyée à l'armoire grise, ou assise au bureau. On peut même sortir dans le couloir. On peut discuter avec la surveillante qui passe ou même en profiter pour aller récupérer quelque chose chez la collègue, en face.
On ne sert plus à rien. On n'a plus rien à faire dans sa salle de cours. C'est devenu le lieu de travail exclusif des élèves. On n'entend aucun bavardage, juste quelques chuchotements échangés : aide matériel ou coup de main orthographique, ils s'entraident un peu, et on les laisse faire, bien sûr. 
Ils donnent le meilleur d'eux-mêmes. C'est beau. C'est magique.

Un de mes collègues avait une formule pour cela : "Si j'ai bien fait mon boulot, quand je suis en classe, je n'ai plus rien à faire. C'est eux qui bossent."
C'est une jolie formule mais elle cache la rareté, la fragilité et la préciosité de ces beaux moments.
Dans ces moments-là, on est satisfait parce qu'on sait qu'on a obtenu quelque chose d'important et que, pour y parvenir on a bien travaillé, forcément, avant.

* les prénoms des élèves sont changés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire