samedi 25 juin 2011

De l'orthographe

Si je ne devais préserver qu'une seule chose du cours de français, ce ne serait pas l'orthographe.

Et il n'est pas question d'accorder plus d'importance que nécessaire à son enseignement dans le cadre de ma pratique au quotidien. J'ai vu trop d'élèves arriver chez moi en début d'année complètement rétifs à l'écriture à cause de l'orthographe. Aller leur donner le goût d'écrire dans ces conditions : bon courage !
Combien ai-je vu d'élèves incapables de produire quoi que ce soit de peur de" faire des fautes" ? Oui, des fautes ! Les erreurs en matière de sciences des imbéciles ont carrément une valeur hautement morale ! Pire, l'usage en est tellement installé que je n'arrive pas moi-même à substituer erreur à faute quand je parle d'orthographe avec mes élèves. Où va se nicher l'héritage jésuitique dans notre système scolaire !
L'équivalent n'existe pas pour ce qui est de l'enseignement des mathématiques, enseignement trop neuf pour être porteur d'une marque aussi forte de l'héritage catholique. Imaginerait-on parler de fautes quand deux et deux ne font pas complètement quatre dans la tête d'un élève ? Imagine-t-on d'ailleurs ramener toujours et en permanence l'enseignement des mathématiques au calcul mental ? Quelle horreur !  Faire des belles mathématiques ne passe évidemment pas par savoir calculer de tête.
J'ai connu des ingénieurs qui en étaient incapables.
J'ai même connu un professeur de mathématiques qui en était incapable, une des meilleures pédagogues que j'ai eu l'occasion de croiser. Incapable de transformer une note sur cinq en note sur vingt de tête. A mourir de rire ! Par ailleurs, elle ne faisait pas de faute d'orthographe. Mais c'est un autre problème.
Elle faisait aimer les mathématiques aux élèves. Cela me parait tellement plus essentiel. J'aimerais être son équivalent pour le français : capable de faire de sublimes fautes d'orthographe en toutes occasions, mais donnant le goût de penser par eux-mêmes aux élèves, et les aidant à cultiver le goût de l'écrit.

Je ne suis pas professeur d'orthographe. Et je refuse de mesurer le niveau de performance de mes élèves en français selon ce seul critère. Bien savoir écrire, ce n'est pas savoir écrire sans faire de fautes d'orthographe. Bien savoir écrire, c'est d'abord et avant tout avoir pris le temps de se demander ce que l'on a à dire de soi, du monde et de son rapport au monde. Bien savoir écrire, c'est d'abord avoir acquis la liberté de penser ; avoir compris que penser est un effort et que cet effort rend libre. Savoir bien écrire, c'est d'abord savoir penser juste.

Et je préfère les gens qui pensent juste à ceux qui écrivent droit.

5 commentaires:

  1. Kangooboy sautillant25 juin 2011 à 10:41

    Allez Irima ! L'orthographe n'existe pas ! La grammaire c'est la loi ! La langue est fasciste !

    RépondreSupprimer
  2. Ce qui est pénible avec cette forme d'ironie telle que Kangooboy la pratique, c'est la suffisance avec laquelle elle veut conserver pour elle la vérité sans prendre la peine de l'établir, de mettre dehors ses raisons. Elle feint de concéder à l'adversaire ce qu'il avance, mais en grossissant le trait, pour mieux en faire ressortir la fausseté ou le ridicule, et pour signifier dans le même mouvement que, bien campée dans son quant-à-soi, elle ne s'y laissera pas prendre, Elle. Si bien qu'elle s'assure d'emblée la victoire, mais contre un ennemi qu'elle a d'abord réduit par la magie des mots. Car est-il question ici de l'existence de l'orthographe ou de refuser de poser des règles grammaticales au seul prétexte qu'elles sont contraignantes? Il est question de priorités dans ce qui mérite d'être valorisé en classe, pour éviter que les élèves se détournent de la littérature pour des maladresses formelles érigées en impératifs catégoriques. Mais admettre des priorités n'est pas exclure de l'existence celui qui doit céder la priorité ; c'est simplement hiérarchiser, autrement dit penser.
    Ceci étant dit, j'aurais une question à poser, cette fois pour Irima :
    tu sembles donner la liberté de penser comme condition préalable de l'écriture - je me demandais si ce n'est pas dans l'exercice même de l'écriture que les élèves la découvrent, car je ne vois pas comment une pensée peut en être vraiment une sans faire l'épreuve de son expression. N'est-ce pas dans cette épreuve même de se faire être... qu'elle est ?

    RépondreSupprimer
  3. Question passionnante, mais qui n'était pas l'objet de ce billet. En cours de français au niveau du collège, écrire et penser, c'est l'histoire de la poule et de l’œuf.
    Sur le fond, je pense que l'agir précède la pensée. Il y a dans l'absolu une possibilité de la pensée sans écriture, peut-être même hors du langage même s'il est difficile de se faire une idée de ce que peut être cette pensée hors du langage, celle des bébés, par exemple.
    Revenons au cours de français, dans notre culture scolaire qui est avant tout une culture de l'écrit, et retrouvons notre œuf et notre poule. Le savoir écrire est un des objectifs de l'apprentissage. Mais, même imparfaitement dominé parce qu'encore en cours d'acquisition, écrire est un des trois agir pour apprendre à élaborer sa pensée. Donc, pour penser en cours de français, il faut écrire. Écrire vraiment, pas seulement recopier en faisant un minimum de fautes un énoncé qui a été produit par le professeur et noté avec soin au tableau. Savoir écrire est un but de la réflexion et de la pensée en cours de français, écrire y est aussi un moyen d'élaboration de cette pensée.
    J'aurai l'occasion de reparler de tout cela quand j'exposerai plus en détail ce que je sais de la pratique du brouillon et de l'écrit intermédiaire et l'état de ma réflexion sur ces questions.

    RépondreSupprimer
  4. Kangooboy sautillant25 juin 2011 à 18:58

    Ah oui. Il se passe un truc un peu comme ça dans La Plaisanterie de Kundera. La blague c'est : "L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski !".
    Mais heureusement pour moi, Irima n'est pas Helena.

    RépondreSupprimer
  5. Alors c'était donc une blague !
    Et moi qui croyait... pardon pour le contresens, alors.

    Mais j'aurais à revenir sur le parallélisme entre orthographe et calcul mental, quand j'aurais sous la main un clavier plus agréable.

    RépondreSupprimer